Tiesu et l’horizon de sa mélancholie

TIESU

Tiesu marchait dans les rues étroites de la capitale. Le soleil zénithal le réchauffait sans le blesser. Était-ce sa couronne d’élu qui le protégeait ? Une couronne de vie, lui avait murmuré l’ange Uriel lors d’un songe :

— Pour te tenir en espérance et en immortalité.

Tiesu se souvenait encore de ses paroles :

— Après la chute, la tête du serpent sera brisée par la semence de la femme.

Uriel n’avait rien dit de l’homme.
Le baptême de la nature venait il de s’accomplir ?

— Le mâle, avait affirmé la voix de l’ange, possédait l’esprit igné. La femelle détenait le principe aqueux. Un équilibre se produisait alors. Une vie se faisait corps selon sa finalité.

Tiesu marchait. Vers où ? Il ne le savait pas. Il était « la » marche. Devant lui, un sentier. Autour de lui, des arbres fleuris. Certains immenses, d’autres plus frêles. Au loin, une ligne d’horizon qui ne cessait de reculer à mesure qu’il vagabondait. Il savait qu’aujourd’hui il allait rencontrer celui qui détenait la clef du tout. Là-bas. Plus loin, plus haut, ici-bas, au fond, dans son corps, dissimulé, parce que la musique de sa foi lui dictait les notes de sa partition pour renaître en chant céleste et glorifier le Roi des rois.

 

Tiesu venait de la tribu des Grandes Sources, près de la côte où s’était déroulée l’apparition de l’esprit saint un soir de Pentecôte. Était-il né pour percer l’obscurité du destin des hommes ?

Il parlait le langage qui rectifiait les paroles indigentes et bestiales que prononçaient les humains depuis la chute d’Adam.

Dans son voyage, il cherchait inlassablement le mystérieux magnum, car les mystères l’appelaient profondément. Aujourd’hui ici, demain là-bas. Il se demandait :
— Le verbe est-il attaché à un pays, un peuple, un lieu, ou bien est-il partout à égalité pour être perçu et incorporé par tous ?

Tiesu cherchait l’approfondissement dans les abymes de la connaissance. Comme on pénètre dans une grotte de pierre rouge pour y découvrir, au cœur de la combustion, un trésor de pièces d’or. Entre le rouge du feu et l’or jaune du trésor, au cœur de l’obscurité, Tiesu ne déroberait rien, car la tentation n’avait pas de prise sur lui.

À peine sorti de la forêt fantomatique de la chaîne centrale, il s’assit près de la rivière Kāveri. Là, il commença ses ablutions et s’immergea quelques minutes dans l’eau purificatrice. Revenu sur la berge, il prit le temps de penser.

Il construisait intérieurement ce processus de réconciliation permanente avec l’obscurité. La flamme destructrice, la flamme de la douleur dégageait-elle pour lui cette ascension libératrice qui le mènerait de la peine des ténèbres, de l’angoisse de la peur à la réconciliation ascendante, dans la paix, la joie et la vie ?

Saisi par la lumière de la nature cachée, Tiesu était en quête de splendeur. Celle du commencement de la création. Il entendait la voix lui raconter la naissance du monde. Par le mouvement du verbe, à l’horizon, apparurent le firmament de la vie et les quatre éléments. Il distingua les créatures et l’esprit issus de chaque élément et de sa propriété. La qualité ardente donnait le mâle et la propriété de l’eau donnait la femelle. Le feu ne peut brûler sans l’eau, et l’eau sans le feu ne serait rien. Leur lumière brille-t-elle de leur unité et de leur désir d’amour suprême ? L’un ne peut se priver de l’autre et chacun se languit de son complément, pensa-t-il.

En marchant désormais vers le parc de la forêt de cèdres, Tiesu savait que les oiseaux, les poissons et les vers vivaient comme à l’origine.
Le principe contraire n’était-il pas la mort ?

Hors de l’opacité, Tiesu s’exposait à la grande lumière, pour qu’elle surgisse à la circonférence de son regard, formant ainsi l’horizon de sa destinée.

— Le soleil, une fois levé au fond de nous, n’éclaire-t-il pas désormais la profondeur de notre obscurité ? pensait-il.

Tiesu amenait ainsi chacun, par petites touches, à redécouvrir ses origines et à voir sa lumière spirituelle. L’aurore, disait-il, est cette genèse de la Trinité, devenue accomplissement de la promesse contenue dans le néant. Il entendit une nouvelle fois la voix lui dire :

— Ainsi tout a été, tout est devenu dans l’origine de la naissance et de la clarté, une fois celle-ci apparue.

Tiesu avait vécu cette expérience spirituelle et celle de l’écrivain, en dépassant par l’écriture son angoisse existentielle. Il trouvait dans ses manuscrits l’horizon de sa mélancolie, face au monde dont le sens lui échappait. Il cherchait à percer l’incompréhensibilité de la totalité de l’univers. Il dégageait avec les mots couchés sur le papier l’unité des éléments du cosmos pour en faire l’horizon de son univers.

Tiesu, couronné, communiquait avec la puissance supérieure, son troisième œil de la connaissance ouvrait la lumière qui venait d’en haut.
En éternité, il poursuivait son chemin de vérité. Dans le réel de son existence. En aimant tout, sans mysticisme ni religiosité, il vivait sa vie en désir d’abandon, toujours à la recherche de la sagesse aussi difficile que rare.

© Alexandre Rosada – MAI 2022

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