Initiatique : Le Templier du Désert

Elias, Templier du Désert

Le sable du désert était un océan immobile, sculpté par le vent en vagues d’or pétrifiées.
La lune, haute et spectrale, éclairait la silhouette d’un jeune chevalier, drapé de son manteau blanc marqué de la croix pattée.
Il s’appelait Elias de Montfort.
Sa quête l’avait conduit aux confins du monde connu, là où la faim et la soif prenaient des visages mystiques.

La question le hantait : comment reconnaît on celui qui a faim et celui qui a soif ?
Était ce simplement une question de chair, ou bien existait il une faim plus profonde, une soif plus brûlante ?
Il marchait depuis des jours, ses lèvres fendillées par la sécheresse, son âme tiraillée par le doute.

Au loin, il aperçut une lueur tremblotante. Un feu. Un campement. Peut-être un mirage.
Il s’approcha et découvrit un vieil homme aux yeux de braise, assis devant une table dressée au milieu des dunes. Devant lui, un pain noir, un vin sombre.
— Entre, frère, dit l’homme. Viens prendre part à la Cène.
Elias s’agenouilla. Le vieillard rompit le pain et servit le vin. En portant la coupe à ses lèvres, Elias ressentit une chaleur envahir son être, comme si le liquide rouge se transformait en lumière.
— La faim et la soif ne sont pas ce que l’œil croit voir, dit le vieillard.
Certains ont le ventre plein mais meurent d’un vide intérieur. D’autres manquent d’eau, mais c’est leur âme qui est asséchée. Sauras-tu faire la différence, chevalier du Temple ?

Elias resta silencieux. Son maître rit doucement et pointa du doigt un sentier serpentant entre les dunes.
— Ta route continue vers le Temple Noir et le Temple Rouge. Là, tu comprendras.

Elias partit en recherche du Temple noir évoqué par son maître. Il marcha jusqu’à un édifice aux pierres massives, noires comme la nuit sans étoiles.
À l’intérieur, des ombres s’agitaient, le regard fixe, le corps décharné. Les hommes ici souffraient, consumés par une faim insatiable.
Ils se jetaient sur des monceaux d’or, les dévorant comme s’il s’agissait de pain.
Mais rien ne les rassasiait. Leur faim était autre : une faim de puissance, de domination.

Un prêtre s’approcha d’Elias.
— Ceux qui entrent ici cherchent à combler un vide qu’aucune richesse ne peut remplir. La pierre cubique est devant toi. Qu’y vois-tu ?
Elias posa la main sur l’énigmatique pierre et ressentit un poids immense.
La pierre cubique, où suintaient sang et eau, témoignait d’un labeur ancien, celui du plus humble des ouvriers, de celui qui, par l’abandon total, avait tracé le sentier.
Il comprit alors que la faim de ces hommes n’était pas celle de la chair, mais celle de l’illusion.
— L’orgueil creuse un abîme que rien ne peut combler, murmura-t-il.
— Alors va, et cherche ce qui étanche la vraie soif, répondit le prêtre.

Elias reprit sa route vers le Temple Rouge. Au loin il vit un édifice élancé qui s’élevait comme une flamme de pierre dans l’horizon.
En son sein, des hommes et des femmes buvaient à des coupes d’un vin vermeil, mais leur soif n’avait pas de fin.
Ils cherchaient une ivresse qui leur échappait sans cesse. Leur soif était celle du plaisir sans sens, du désir sans lumière.

Elias vit une rose posée sur l’autel. Il la prit et sentit son parfum envahir son être. Un homme vêtu de pourpre s’approcha.
— La rose-croix t’enseigne que l’amour est le seul vin qui étanche la soif véritable. Mais il faut savoir l’offrir et non le posséder.
Elias comprit alors. La faim n’était pas celle du pain, mais celle du sens. La soif n’était pas celle de l’eau, mais celle de la lumière.
Il se souvint du vieillard dans le désert et de la Cène partagée. Nourrir l’esprit et abreuver l’âme, voilà la véritable quête.

A son tour Elias voulu boire au calice pour nourrir sa rose et abreuver l’ultime.
De la pierre cubique qui sue sang et eau, venue de la plaie du plus humble de tous, la coupe et le vin sont destinés à ceux qui ont soif et qu’il reconnaît pour former ensemble l’alliance.
De cette blessure née d’un sacrifice consentant, la coupe puisait sa substance, et nul ne pouvait s’y abreuver sans reconnaître en lui-même la part du mendiant et du roi, du veilleur et du dormeur.
Il y a dans cette démarche fraternelle une forme de communion qui va permettre le juste rapport à l’autre.
Le reconnaître, c’est accepter ses valeurs et recevoir ce qui nous manque.
Dans la loi d’amour, l’union trouve son centre, et le partager en équité est un engagement essentiel de bon pasteur.
Elias comprit que l’amour partagé est une source inépuisable qui transcende la chair et l’esprit.
Il porta la coupe à ses lèvres, conscient que ce geste scellait son destin de serviteur du sacré.

En s’approchant du calice, non par simple soif, mais avec cette conscience aiguë Elias savait que boire en ce lieu, en cette heure, relevait d’un serment tacite.
Il savait que la rose qu’il portait en lui—celle qui s’épanouit aux confins du cœur et de l’âme—avait besoin d’être abreuvée par la liqueur du Mystère.
Ce vin, issu de la vigne de l’épreuve, n’était pas une boisson ordinaire : il transmutait, il ouvrait les sceaux du silence, il liait l’être à l’ultime.

Ceux qui s’assemblaient autour de la Table n’étaient pas de simples convives, mais des pèlerins en quête d’une alliance plus haute.
Leur soif n’était pas seulement celle du corps, mais celle de l’esprit. En buvant ensemble, ils ne faisaient pas qu’étancher un besoin : ils entraient dans la logique du Don, celle où l’être se fait offrande à l’autre.
Le juste rapport à l’autre naît dans cet échange sacré, où reconnaître, c’est déjà aimer.
Reconnaître l’autre dans sa nudité d’âme, c’est accepter de le voir tel qu’il est, sans masque ni simulacre.
C’est aussi accueillir en lui ce que l’on ignore de soi-même. L’homme isolé est un désert, mais dans la communion, il devient oasis.

Car la Loi d’Amour, plus haute que toutes les citadelles et plus ancienne que toutes les écritures, trouve son centre dans l’union des cœurs.
Celui qui boit sans partager s’assèche.
Celui qui garde sans donner se vide.
Ainsi, l’engagement du bon pasteur n’est pas une simple parole : c’est le choix de donner sans compter, d’ouvrir sans crainte, d’aimer sans mesure.
Dans l’obscurité des âges, où tant de voix s’égarent en mille discours stériles, il est un silence plus éloquent que toutes les doctrines : celui de l’homme qui tend la main et qui, dans ce geste, rétablit l’ordre du monde.
Elias, ayant bu, sentit le poids du ciel en lui.
Non comme un fardeau, mais comme une promesse.

Après des jours de marche, Elias atteignit une oasis cachée entre les montagnes de pierre.
Là, un village vivait en paix, sous la protection d’un temple simple et ancien.
Les habitants l’accueillirent avec respect, et il partagea son savoir, racontant le Temple Noir et le Temple Rouge, la pierre cubique et la rose-croix.
Un enfant s’approcha, les yeux brillants d’interrogation.
— Comment savoir si nous sommes affamés de sens ?
Elias sourit et répondit :
— Lorsque les richesses ne te comblent plus, lorsque le plaisir devient fade, alors la faim est en toi.
Mais souviens toi, ce n’est pas dans l’or ou le vin que tu trouveras ta réponse, mais dans la lumière intérieure.

L’enfant hocha la tête, et Elias comprit que son voyage ne faisait que commencer.
Car la quête du vrai chevalier ne s’achève jamais : elle se poursuit dans chaque âme rencontrée, dans chaque cœur éveillé.

Alexandre Rosada @janvier 2025

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