Le Temple des Trois Veilleurs
La nuit était noire, mais constellée d’étoiles. Le vent portait une voix ancienne.
Au sommet d’une montagne oubliée, un Temple sans toit dressait ses deux colonnes.
Elles veillaient depuis des siècles, immobiles, silencieuses, éternelles.
Jakin, colonne de l’aube, se tenait à droite. Elle était haute, droite, lumineuse, forgée dans la pensée pure.
Sa voix, quand elle parlait, résonnait comme un chant d’orgue, faite de certitude et d’ordre.
Boaz, colonne du crépuscule, se tenait à gauche. Elle était massive, dense, enracinée dans le sol.
Elle murmurait comme la mer, faite de mémoire et d’intuition.
Depuis l’aube du monde, elles attendaient. Car un jour, disait la prophétie, viendrait celui qui les unirait.
Celui que l’on n’enseigne pas, mais qui se découvre. Un pilier vivant, un voyageur de chair et d’esprit, capable de porter en lui la tension de leurs opposés.
Il s’appelait Orion.
Orion ne savait rien. Ni le nom des pierres, ni la langue des rituels.
Mais il marchait. Toujours. Et en lui, il y avait un vide. Un appel. Une soif.
Il parvint enfin aux deux colonnes, un soir d’équinoxe. Il les contempla longuement.
« Qui êtes-vous ? » demanda-t-il.
Boaz répondit :
— Je suis la force des origines. Je contiens la nuit, la mère, la mémoire, la chute, le silence.
Jakin répondit :
— Je suis la lumière du devenir. Je tends vers le ciel, vers la loi, vers le mot, vers le futur.
Orion s’agenouilla entre elles, et pleura.
Car il se sentait déchiré. Il voulait la paix de Boaz, mais aussi l’élan de Jakin. Il voulait se souvenir, mais aussi s’inventer. Il voulait être entier.
Alors la terre vibra doucement. Et du sol monta une troisième colonne. Elle n’avait ni nom, ni forme.
Elle était vide. Vide comme un creuset. Elle brillait d’une lumière que seuls les yeux du cœur pouvaient voir.
Jakin murmura :
— Voici Thémélion, le pilier invisible.
Boaz ajouta :
— Il est la conscience, le centre entre nous deux.
Orion comprit. Le pilier invisible n’était pas en dehors de lui. Il était lui-même, debout entre les forces, gardien du seuil. Non pas pour choisir l’une contre l’autre, mais pour les réconcilier en lui.
Il devint le troisième terme. Le vivant. Le pont. Le Maître en marche.
Et le Temple, jusque-là muet, résonna. Non d’un bruit, mais d’une vibration. Il était complet.
Depuis ce jour, les deux colonnes n’attendent plus. Elles accompagnent.
Et dans chaque temple, entre leurs corps de pierre, un homme, une femme, un être en quête devient à son tour Thémélion, la colonne centrale de l’Être.
Alexandre Rosada Juillet 2025