Du Sceau du Secret à la Clef d’Ivoire

Du Sceau du Secret à la Clef d’Ivoire

Sous le poids du deuil et l’ombre du secret, le nouvel impétrant devenu Maître Secret se tient dans un silence dense, presque oppressant.
Il a traversé l’épreuve, frôlé la mort symbolique d’Hiram, et en émerge avec une charge : celle d’un Lévite, prêtre du temple intérieur. Il incarne ainsi le pouvoir sacerdotal, recréant avec Salomon et Hiram de Tyr, le ternaire un temps brisé.

Mais l’investiture qui lui est confiée n’est pas seulement celle du pouvoir, mais celle d’un devoir sacré, d’une quête intime où la reconstruction de l’édifice passe par la connaissance de soi et des autres, dans leur complexité et leurs mystères petit ou grands comme le sens renouvelé de notre rapport à la métaphysique.

A ce stade le MS est pétri de questions soulevées par la mort de Maître Hiram. Il doit déceler les éclats de lumière au fond de lui et retrouver la parole perdue. Un devoir d’humilité. Un éveil à la vie spirituelle qui se fait plus présent.
Les réponses sont en chacun de nous car après tout, nous devons tous devenir notre propre maître…n’est-ce pas ?
Le rituel nous le confirme , je cite, “Le saint des saints est en l’homme : c’est la lumière que vous portez”. Parole confirmée par Saint Augustin je cite : « Avance sur ta route car elle n’existe que par ta marche”.

Un cheminement qui s’accomplit avec de nouveaux outils, comme le sceau du secret et une clé, qu’il nous convient ici d’étudier.
Étrangement, la clef que le MS reçoit, scellée par le secret, n’ouvre pas de porte visible ; elle libère je dirais des couches d’obscurité enfouies au plus profond du Maître secret qui découvre que cette clef n’a pas une seule destination mais qu’ elle est multiple, bifurquant vers des chemins qu’il doit apprendre à reconnaître et à accepter…et à commencer par celle de l’intégration d’Hiram en lui-même, pour devenir à son tour porteur du verbe, et bâtisseur d’un temple immatériel dépassant l’architecture humaine.

Dans cette démarche, la psychanalyse des symboles apparaît comme un miroir où chaque fragment du mythe d’Hiram reflète une part de lui-même : la fidélité, la trahison, la renaissance.
Le silence imposé est donc une invitation à l’écoute intérieure, une forme de méditation et de purification avant d’être capable de prononcer à nouveau le nom d’Hiram, non plus comme un maître perdu, mais comme un guide vivant en lui, un modèle de sagesse et de création.

Le Maître secret n’est qu’au début d’un voyage initiatique où le mystère se révèle à travers les voiles successifs du symbolisme et de l’introspection. Ce silence sacré et la clef qui l’accompagne sont les premiers pas d’une transformation profonde, où chaque pas le rapproche de l’essence d’Hiram, et donc de sa propre essence.

Le sceau du Secret qui ferme et la Clef qui ouvre.
Voilà qui nous pousse à analyser ce paradoxe apparent “entre le sceau qui ferme la parole et la clef qui ouvre une ou des portes”.
Ce double mouvement, fermeture et ouverture, peut sembler contradictoire à première vue, mais il révèle une profondeur initiatique importante.

Le Sceau : fermer pour protéger
Le “sceau” représente l’autorité, la protection et la confidentialité. Il scelle l’information précieuse, indiquant que certaines connaissances sont réservées aux initiés. “Nous ne vous considérons pas comme un ignorant complet” dit le rituel. Il suggère que le Maître Secret doit être digne de confiance et capable de garder ce qu’il sait, tout en ne révélant que ce qui est approprié ‘Vous ne comprenez pas bien, de même vous ne voyez pas bien”.
Ainsi avec le sceau du secret le TFPM ajoute “nous allons vous clore les lèvres”.
Un acte non pas pour censurer mais pour contenir, la parole et la protéger. La protéger contre qui ? Contre-soi-même me semble- t- il. Mais également car certaines vérités ou connaissances ne peuvent pas être dévoilées à tout moment, ni à n’importe qui.
Ici la parole scellée est donc une invitation à la maîtrise de soi, au discernement, à la prudence. Ce n’est pas un silence imposé par la contrainte, contrairement à celui de l’apprenti, mais un silence choisi, conscient, qui permet de préserver ce qui est précieux. Le sceau, enfermant, n’enferme pas, il souligne la valeur du secret et la nécessité de protéger le savoir.

La clef : ouvrir pour comprendre.
La clef d’ivoire, bijou du grade, incarne quant à elle l’accès à ce qui est caché. Elle ouvre les portes du savoir et des mystères profonds à condition que le MS soit moralement et intellectuellement prêt à les comprendre. Elle suggère également que la connaissance est une responsabilité. “Les passions, dit le rituel, les préjugés sont des obstacles, mais l’Énergie, la persévérance et la volonté nous aident à les surmonter” . On peut penser que la clef reçue à cet instant nous aide à franchir les épreuves par l’ouverture, mais pas n’importe laquelle : c’est l’ouverture réfléchie, l’accès contrôlé à la connaissance. Non pas une ouverture automatique ou immédiate ; mais la possibilité d’accéder à un savoir supérieur, à condition d’avoir atteint un certain niveau de préparation intellectuelle et spirituelle.
La clef évoque donc la liberté de choix : ainsi l’initié peut ouvrir certaines portes de la connaissance, mais cette liberté s’accompagne de responsabilité.
L’ouverture, tout comme la fermeture, est un choix empreint de sagesse…car il faut également se souvenir qu’en tant que Lévite, gardien du Saint des Saints, nous sommes dans une fonction sacerdotale, nous sommes des prêtres, et nous gardons, comme tous les gardiens, les clefs, plus comme emblème que comme outil, puisque nous n’avons pas le droit de franchir la balustrade.

A ce stade, notre chantier reste bien d’édifier notre temple intérieur. Dans l’atelier se joue la rencontre entre le visible et l’invisible, et il faut aller au plus profond de soi-même, pour y découvrir tout ce qui est enfoui, dans une démarche quasi freudienne, soit pour l’admettre soit pour s’en débarrasser.

Si les injonctions du 4eme ont valeurs morales, je cite “malheur à ceux qui acceptent légèrement des devoirs et ensuite les négligent”. Elles nous enjoignent de ne pas nous égarer, et si la doctrine du grade est celle du devoir de s’améliorer comme d’améliorer la société par l’ exemple, la clef posée sur la Bible ouvre également mon chemin spirituel vers la Vérité et la Lumière.
Ici la clef d’ivoire m’indique que ce chemin peut conduire à Dieu et certainement à la part de divin qui est en moi. Le vaste domaine de la pensée et de l’action, espace lumineux et serein s’ouvre ainsi à moi. Il est au cœur du Saint des Saints c’est-à-dire de moi-même, et couronné de laurier et d’olivier, je reçois le pouvoir et la force de répondre à cet appel.
Ici la clef un « outil » non plus de constructeur, mais de prêtre. La dimension devient spirituelle. Tel le Pape dans ses armoiries, St Pierre, Janus, Osiris, Isis, nous possédons également une clef symbolique qui nous donne l’accès à notre part de divin.

Le Sceau et la Clef renforcent l’idée que la maîtrise du secret est un équilibre subtil entre la possession du savoir et le discernement quant à son usage.
Le secret, dans ce degré, devient un élément de discipline intérieure et de quête spirituelle.
On peut en effet légitimement déceler un paradoxe entre le sceau qui ferme et la clef qui ouvre comme un équilibre entre “retenir” et “révéler”, entre “passivité” et “action”, entre “protection” et “découverte”.
Mais il ne s’agit pas de conflit, mais d’un jeu d’opposés qui se complètent. La maîtrise du secret exige à la fois la capacité de garder ce qui ne doit pas être dit (le sceau) et la capacité d’ouvrir des chemins vers la vérité lorsque le moment est opportun (la clef).

La maçonnerie, et particulièrement le REAA, est souvent marquée par cette dialectique entre les contraires.
Finalement, il ne s’agit pas d’un paradoxe insoluble, mais plutôt d’une tension créative qui pousse l’initié à comprendre que la véritable sagesse réside dans le fait de savoir quand parler et quand se taire, quand agir et quand patienter, quand ouvrir et quand fermer.

En digression j’observe également que ces deux outils sont faits d’Ivoire.
Le fait que ces deux outils soient façonnés dans de l’ivoire donc une matière organique comme l’os n’est pas un hasard.
Cherchons l’idée derrière le symbole.
Y a t il un lien avec le Maître Secret nouvellement créé ?
A ce titre l’analogie entre le sceau et la clef en os/ivoire et notre squelette humain peut s’avérer pertinente.

Mais que représente l’ivoire ? En dehors de ce que j’ai pu lire dans diverses publications. L’ivoire me fait penser à l’éléphant, mais aussi au trône de certains rois, à l’un des éléments des dents, à la blancheur de l’oeuvre au blanc, à son origine organique. Organique comme de la pierre, rare donc précieuse, blanche comme la pureté, voire lumineuse.
L’ivoire est d’origine animale et donc me rappelle aussi que mon animalité se confronte à l’intérieur de moi-même à ce qu’il y a de meilleur en moi. La présence de la dualité blanc noir, mauvais compagnons, bien et mal.
L’Alchimie ne consiste-t-elle pas à différencier le bon du mauvais, tailler sa pierre brute au premier degré, dans le but de rassembler ce qui est épars en nous, « de reconstituer le Tout délivré de ses scories qui empêchent la Lumière de s’épandre à l’intérieur de l’homme »?
L’ivoire est par ailleurs imputrescible et notre quintessence ne serait-elle pas aussi imputrescible, comme l’est l’acacia qui nous est connu, en notre qualité de Maître Maçon ?

Celui qui porte cette clef porte donc en puissance la sagesse, la pureté, le temps, la richesse du cœur, ce qui lui permet d’espérer ouvrir de multiples portes.
Dans l’antiquité, on attribuait à l’ivoire de Narval le pouvoir de rendre les poisons inoffensifs, et la clef prend donc également un sens de protection, contre les aléas de la vie mortelle peut-être car l’os ou l’ivoire représentent la structure interne, la solidité et la durabilité.
Tout comme les os forment la charpente qui soutient le corps humain, ces outils en os ou en ivoire peuvent être vus comme les symboles de la structure qui soutient, tels des piliers de cathédrales, notre temple intérieur et de fait la quête spirituelle et morale de l’initié qui se trouve au cœur de la nef de notre propre sacralité.
Les os d’ivoire, le squelette, invisible mais fondamental, représentent l’essence même de la vie intérieure qui stabilise l’être.

L’analogie va plus loin : le squelette est ce qui reste après que la chair quitte les os, c’est la décrépitude, l’éphémère de la vie charnelle; tout se désunit car la matière retourne au chaos originel…mais la clef comme l’acacia permet l’ouverture, symbole de régénération et d’éternité, porteur d’espoir et de résilience.

On peut également voir dans cette association de sceau et de clef, une dimension de mort initiatique ; dépasser les illusions du monde matériel et des apparences pour accéder à la sagesse profonde c’est une invitation à la réflexion métaphysique sur la vie et la mort, sur l’épreuve du temps et de la matière.

En conclusion je dirais que
Le sceau protège le mystère, la clef le libère.
Ils nous enseignent que la connaissance véritable exige silence et audace, respect et exploration.
Celui qui porte le sceau porte le poids de l’éternité ; celui qui brandit la clef assume la lumière et l’ombre.
Ainsi, le quatrième degré appelle à un équilibre subtil : garder et chercher, tout en étant transformé.

Alexandre Rosada@Décembre2024

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