Une Statue pour la Paix : Jean Marie Tjibaou et Jacques Lafleur

Une Statue pour la Paix 


Faire la Paix

La force des symboles réside dans le fait qu’ils sont porteurs d’inspirations et de lumières pour qui cherche à les percer à jour. Cela demande discernement et persévérance dans l’interprétation, mais par leur force évocatrice le sens voilé des symboles, nous apparait accessible dès que l’idée incluse au cœur de leurs apparences, résonne silencieusement en nous.

Avec la statue de la Paix, qui a été érigée  à Nouméa, au-delà d’une simple représentation de deux personnalités politiques antagonistes, œuvrant pour deux modèles de société diamétralement opposés, nous sommes en présence de la représentation d’une dualité transcendée par un désir d’unité entre deux personnes issues de deux sérails politiques et sociaux distincts, et voulant sceller un accord.

Ici nous touchons à l’universel, et allons avec cette « poignée de mains » au-delà du simple fait politique pour voir dans la discorde apparente, s’exprimer une volonté de concorde vers la Paix. Certes « il est plus facile de faire la guerre que promouvoir la paix » dit l’adage, mais après le bruit et la fureur, les divisions et les blessures d’une société ne doivent pas empêcher de réinstaurer la sérénité, de retrouver la confiance, et la compréhension entre anciens ennemis, et ce, pour faire renaitre l’espérance un temps éloignée.

Pari difficile mais jamais impossible à relever. Car la Paix passe par la retenue, le respect de l’autre et la recherche de solution négociée aux difficultés rencontrées. Souvent la Paix est durable lorsqu’elle est voulue et consentie par les parties elles-mêmes.
En médiation sociale par exemple, on apprend à résoudre les conflits en convoquant les ennemis d’hier incapables de se parler, et en les invitant à accepter d’exposer ouvertement en les verbalisant leurs antagonismes passés. Ainsi peut naître une nouvelle perception de la réalité pour chacune des parties. De ce fait par la discussion, le compromis et l’acceptation un nouvel accord conclu et voulu par eux, ne subit aucune contrainte. Il devient donc fort et durable car le briser de nouveau serait pour les parties concernées un parjure et un nouveau conflit. Je pense que c’est ce qui se passa un soir de 1988 à l’issue d’intenses négociations à Matignon sous l’égide de l’Etat et en présence du premier ministre de l’époque. La poignée de mains était rendue possible par la négociation. La justice restauratrice est également dans un processus similaire avec le supplément d’âme de la notion de pardon pour reconstruire sur les décombres.

Construire

Ainsi 34 ans plus tard, avec le Monument pour la Paix, cet espoir vit-il toujours ? Ne peut-on imaginer une réconciliation renouvelée vers une nouvelle solution négociée au travers d’un nouvel accord historique ?  Car si ce vœu de stabilité nous le devons au générations passées, notre devoir n’est-il pas de  le renouveler afin de le léguer aux générations futures dans l’idée de construire un avenir radieux, dans une démocratie moderne ?
Voie étroite, difficile, mais jouable. L’histoire nous apprends que si les hommes disparaissent leurs idées survivent et ce monument résonne comme un exemple.
L’histoire nous apprend que les victoires collectives des humains ont été gagnées d’abord sur eux-mêmes en purifiant les égos d’aspérités avilissantes. Deux hommes d’un même pays, avec des valeurs culturelles aussi singulières que proches,
ont osé se transcender au nom de l’intérêt général. Atteignant une forme de plénitude.
Sortant de la dualité des humains fragmentés et incapables de discernement nous sommes là, en présence de deux hommes qui ont avec courage et honnêteté osé se remettre en question, au bénéfice de leur communauté avec un nouveau projet formulé par un idéal.

Au 19e siècle on définissait la République comme l’expression d’un « vouloir vivre ensemble c’est à dire  faire des choses ensemble avec des individus qui ont un passé commun ».
Se rejoindre, contribuer et participer, voilà un des sens de cette poignée de mains entre deux hommes morts pour un idéal de paix et de fraternité.
A travers ce Monument  tel un totem orateur, le dialogue continue et s’adresse au peuple mosaïque calédonien réuni dans une mémoire commune, relié par son histoire récente pour bâtir sur ce modèle légué, un modèle nouveau au nom de l’humanisme universel.
Un humanisme qui refuse les extrémismes et les sectarismes, les fanatismes et les ambitions dévoyées, l’ignorance qui fait éclore le racisme, les discriminations et les exclusions.
Oui c’est un idéal, et d’aucun pensera que l’utopie n’est pas loin, pourtant vers quoi devons nous aller si ce n’est vers cette espérance d’accomplir l’unité dans la diversité malgré les forces contraires que nous portons tous en nous.
Une réconciliation dans un paradigme rénové est certes un processus à long terme qui peut prendre des décennies voire des générations.
A nous Médias, Clubs services, écoles, associations, ONG, institutions, de nous saisir de ces questions de société et de cohésion sociale, en discutant, proposant, affirmant, dans le respect mutuel, notre besoin de coexistence pacifique, de confiance, d’empathie, pour faire émerger des politiques apaisées dans l’intérêt général de tous.

C’est un appel auquel cette poignée de main nous invite à réfléchir. Celui d’une concorde humaine aussi simple qu’universelle. Si la guerre est plus facile à mener que la Paix, il est plus que jamais nécessaire de faire reculer la haine de l’autre.
Car cette poignée de mains nous invite aussi à vivre cet altérité.

Altérité

Altérité comme autre que soi.
Souvent l’autre c’est celui qui a des coutumes, des traditions et des représentations au monde différentes de moi. Ainsi l’autre devient « eux » avant de faire « nous ».
Ne faut-il pas dés lors, faire ce travail qui consiste à passer du « je » au « nous » et  à se mettre à la place de l’autre en résonnance avec son propre point de vision ?
C’est un travail sur soi et cela demande une volonté, pour faire dialogue et compréhension afin de faire cause commune. Et ce qui est vrai pour les humains l’est également pour les états avec la mise en place d’outils pour décider de ce que sera la cité harmonieuse à vivre ensemble.

Au final ne suffit-il pas  d’élargir nos horizons pour gagner en universalité, en humanité, et au-delà de nos points de vue ? Augmenter nos compréhensions, nos intelligences réciproques et évidemment nos capacités à nous aimer ?
Allons ! ne nous mentons pas à nous-mêmes notre relation à l’autre peut devenir conflictuelle, neutre ou constructive, c’est un fait entendu !!  Mais … réfléchissons : Comment un rapprochement pourrait-il se réaliser seul en son entier ?
Il faut donc agir ! L’action est ici moyen et apparaît comme solution.
Ainsi avec ce geste de poignée de mains l’irrémédiable dialogue peut s’effectuer. L’acte de serrement, appelle l’autre à être en ouverture et à nous montrer une autre réalité de nous-mêmes.
Et même si le temps d’un doute nous demeurons irrémédiablement seul sur notre voie, ne recherchons nous pas, peu à peu  l’émergence de cette altérité, comme une force indispensable dans toute entreprise humaine et sa nécessaire organisation ?
Ainsi l’altérité comme  politique au sens noble du terme, est une amélioration de la condition humaine, dans le respect mutuel,  et dans l’intérêt général, pour fonder un nouveau pacte social.
Contrairement aux dogmes religieux, et aux partis politiques qui imposent et modélisent les citoyens, vivre en altérité c’est également trouver sa propre liberté, sa propre vérité mais dans l’indépendance de sa liberté de penser et de conscience. Une démarche fondamentale, permettant de concevoir avec l’autre la solidarité et le partage. Car Être, c’est être avec !
Être avec, dans le monde économique où l’humain souvent, meurt broyé par le système, ici l’altérité, comme  culture de groupe et d’équipe nous oblige à repenser les solidarités en atteignant les objectifs.
Mais plus encore il nous faut lutter contre les fragmentations individualistes aliénantes, nous devons redoubler d’altérité en particulier vers les plus faibles et les plus démunis. Ceux que la société laisse de côté, ou met hors-jeu. Ceux que nous ne voyons pas, si près de nous car dans trop souvent dans la chaine de la vie, les maillons faibles et rompus n’ont plus droit de cité.
Ainsi, se tourner vers l’autre, prendre le temps de l’écoute bienveillante, porter attention, donner de son temps, apaiser la souffrance, chercher la paix et la concorde est une partie de notre mission.

Je conclurai sur le monument pour la paix, en citant Emmanuel Levinas : « L’autre m’interpelle » affirmait ce contemporain du siècle de la barbarie. Levinas a cherché dans son œuvre à donner à l’Autre un sens primordial. Sa propre famille avait été massacrée par les nazis en Lituanie. Lui-même fut fait prisonnier de guerre pendant cinq ans.
Alors oui admettons le :  existerions nous sans le regard de l’autre ?
L’amour de son prochain est une mystérieuse force au-delà du message chrétien.

Que ce symbole de main tendue, de poignée de mains, unisse nos cœurs et nos cerveaux et nous permette de créer des liens,
de tisser la natte sur laquelle nous pouvons prendre place afin de  construire ensemble dans la paix des idées et des concepts éclairé de connaissance et de sagesse.

Alexandre Rosada
Journaliste et écrivain.
www.rosada.net

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